Les lèkès de Sapitou

11 août 2017, la célèbre mode blogueuse Safiatou Diallo ose la différence. D’ordinaire endimanchée en tenue pagne, sac et chaussures assortis, Diallo pose  toute sourire, décontractée ce jour avec  une touche assez originale, des lèkès.

Ces sandales faites entièrement de caoutchouc sont à l’origine destinées aux économiquement faibles. Mais aujourd’hui hommes, femmes, enfants toutes catégories socio-professionnelles confondues en font un accessoire de mode à part entière. La raison : son coût accessible, 1000 Fcfa la paire, l’aisance avec laquelle on la porte, sa flexibilité ainsi que sa résistance aux épreuves que lui infligent ses adeptes. Les jeunes l’arborent en raison de ses crampons incrustés pour le sport, le football principalement. Les portefaix, charretiers et autres débrouillards des marchés la chaussent pour affronter boue et chaleur. Le Manawa (aide-maçon) s’en contente en replacement des bottes trop chères pour sa bourse…

L’autre raison du succès des lèkès, la maison Gucci, célèbre marque italienne spécialisée dans la maroquinerie de luxe les a revisités et mis aux goûts des célébrités aux millions de fans tels que Fally Ipupa, Drogba Didier… Méduses, c’est le nom donné par la marque avec comme prix, 390 euros soit 225 450 Fcfa. 

A plus de 6000 kilomètres des marchés européens, Abidjan la capitale aux déchets plastiques incontournables. Ici, la matière non biodégradable est omniprésente. Elle jonche aussi bien les rues des quartiers huppés que celles des communes malfamées. Dangereuse pour l’environnement ou pas l’impertinente est là, à nos portes au su de nos autorités. Elle va jusqu’à tenir tête au décret interdisant son importation, son utilisation, sa détention, sa production et sa commercialisation adopté par les autorités ivoiriennes depuis mai 2013. Les amendes, confiscation de matériels et autres menaces d’emprisonnement, elle n’en a cure. L’intruse est tellement présente qu’elle s’érige en repère. A Yopougon, la belle et grande commune, précisément à l’entrée de la zone industrielle sur l’autoroute du nord, un célèbre lieu de stationnement est baptisé « au sachet ».

Une légende urbaine raconte que ce lieu tient son nom des apprentis Gbaka (mini cars de transport en commun). Ce lieu  existerait depuis les années 2000 et est un point de chute de plusieurs ramasseurs de déchets plastiques de cette zone de travail où sont amassées des tonnes et des tonnes de sachets. Là,  sur 400 mètres de terre rouge à ciel ouvert, la poussière soulevée par les incessants va et vient des gros moteurs auréole ces bras valides qui font de la récupération, du traitement de base puis de la vente du sachet aux industriels que ces derniers transforment  en or flexible. Ces chercheurs de plastique n’iront pas loin pour écouler leurs encombrantes marchandises. Deux entreprises  à quelques centaines de pas sont installées depuis plusieurs décennies.


 

Lion, le collecteur

Pour que notre Sapitou ait ses lèkès, Oumar Kéita, le Guinéen est debout aux aurores pour se rendre à la décharge d’Akouédo s’approvisionner en matière première. Là bas, les hommes d’affaires de l’enfer ont fini le travail préliminaire de la marchandise : ramasser, trier, classer par couleur et emballer par colis de 10 à 50kg que ses fournisseurs lui livrent à bas prix 600 fcfa le colis en raison de l’ancienneté. L’homme parle de plus de 10 années de partenariat. « Le prix des colis de sachets varie en fonction de la qualité de la marchandise. Les moins bons sont constitués de sachets emballages tout format et couleur confondus, de Samarakros (chaussures usagées en malinké), et autres. Les bons sont faits de barriques, chaises et bidons en plastique… 600fcfa pour moi mais les prix peuvent grimper jusqu’à 1500 pour les autres, c’est à la tête du client » confesse l’homme surnommé Lion en raison de son gabarit et de son tempérament constamment chaud. L’autre facteur déterminant pour son prix spécial à l’achat est l’endossement de la charge du transport de la marchandise depuis Akouédo jusqu’au fameux carrefour. Pour atteindre son stock hebdomadaire de 8 tonnes, Le guinéen de Beyla se dote des services de 10 à 15 autres sous collecteurs répartis sur les différentes poubelles de la capitale. Ici, Lion, autre nom d’Oumar a statut de collecteur et c’est tout. Il aura beau rugi, « Au sachet » est hiérarchisé, mieux fonctionne en réseau. Lion pour les intimes n’aura pour l’heure aucun lien direct avec les industriels, c’est comme ça ! Aussi rustique qu’il paraît, ce lieu aux airs de désert est régi par des règlements qui font office de loi. Et ici la loi est toute tracée: le collecteur fait obligatoirement appel aux Manankolas, laveurs de sachet en malinké puis revend sa marchandise aux détaillants. Ces derniers les revendent aux grossistes qui les acheminent chez les industriels.

Kanaté Sali, Mannankola

C’est  le nom d’emprunt donné à notre jeune laveuse de sachet plastique. Elève vacancière, Sali planifie déjà sa prochaine rentrée des classes. Sa 4ième sera en partie financée par ses 3000fcfa gagnés quotidiennement. Sali est issue d’une modeste famille de 13 enfants et se rend au sachet tous les matins depuis le début des vacances scolaires pour soit rendre propre le plastique soit le sécher. Une fois appelées par le collecteur, Sali et compagnie se jettent à l’eau. Le site est drainé par l’eau souillée provenant des usines de la zone industrielle. Ce canal d’eau d’évacuation est la source intarissable des Mannankolas. Ils sont plusieurs dizaines ce jour dont des hommes des enfants à débarrasser la marchandise du Guinéen de toute impureté dans cette eau impure.

Sans  protection aucune les mains sont plongées dans l’eau pour en ressortir une minute plus tard des sachets qui sont balancés de part et d’autre des rives de l’énorme caniveau. Juste après la marchandise est triée par couleur. Les sachets bleus privilégiés pour la fabrication des pavés, bouilloires, bassines, seaux de bain… sont séparés des transparents qui sont destinés à la fabrication des bâches, sandales, nattes… Les paquets sont emballés dans ce qui reste de moustiquaires imprégnées. C’est fait à dessein. Les mailles de cette protection destinée à préserver les populations des piqures de l’anophèle femelle servent de passoirs pour laisser s’échapper l’eau du lavage.


 

Les détaillants

Mamadou  dit Rougeot et Loukou, deux acheteurs guettent la marchandise du Guinéen au séchage. L’un travaille pour un particulier depuis 10 ans et l’autre pour une entreprise spécialisée dans la fabrication de pavés.

Quand  à Rougeot, il est plus serein. L’homme qui a érigé son entrepôt dans une encoignure attend patiemment son tour. Il réceptionne les colis du Guinéen qui comprennent les lèkès et autres chaussures usagées. Il les achète cash en quantité industrielle, 20 T par semaine, les entrepose puis les livre à Ahmed, le grossiste.

Les grossistes

Ils sont aux nombres de 5 depuis la création du repère au sachet. Keita Ahmed en est une des figures de proue. Le jeune élève débute l’aventure avec sa mère ramasseuse de déchets plastiques à la zone industrielle dans les années 1995. L’histoire débute par un coup de main donné pendant les vacances et congés scolaires, puis devient un boulot à plein temps en 2000 après l’arrêt brusque de ses études qui étaient alors sous l’emprise de son adolescence agitée et meublée de voyoutisme avec son lot de boro d’enjaillement (pirouette sur des bus en mouvement), de hip hop et de ziguéhi (danse urbaine pour les caïds) dont l’homme garde encore les habitudes. Kéita est tout en muscle, vêtu d’un t-shirt et d’un pantalon large, casquette vissée sur la tête, il s’exprime dans un français clair puis bascule très souvent dans le nouchi, l’argot ivoirien. Kéita et ses 4 collègues sont les contacts directs et avisés des industriels. Avec ces derniers, la familiarité puis la confiance sont nées depuis des années. La marchandise est livrée par tonnage 40 T/jour et à crédit. Les grossistes constituent des fournisseurs sûrs, avec eux, le risque de rupture de la marchandise est rare. Chose qui était monnaie courante avec les précédents intervenants. De plus le système de prêt n’est pas fait pour arranger les détaillants et collecteurs qui eux fonctionnent au cash. « Cotiplast, GUG, Sivop, OKplast, Proplast (entreprise qui fabrique les lèkès de Sapitou) sont mes clients et je m’en sors à tel point que j’ai demandé à ma mère de prendre sa retraite et me laisser lui venir en aide financièrement tous les mois. J’investis dans des projets autres que le plastique pour être à l’abri des surprises » conclue Ahmed.

Les industriels

Proplast,  entre autres usines, réceptionne les différentes qualités du plastique. Elle fait fondre les samarakros pour en faire de nouvelles chaussures que Sapitou pourra s’offrir de nouveau une fois distribuées sur le marché ivoirien.


A jamais dans mon coeur!

You May Also Like

About the Author: Ritadro

2 Comments to “Les lèkès de Sapitou”

  1. excellent article d’investigation qui met en avant toutes les conséquences sur l’environnement des sachets plastiques, en même temps qu’il en explique non seulement la valorisation mais aussi leur intérêt pour certaines populations. Le tout est de trouver le juste équilibre !

Comments are closed.