Pentecôte à Cocody Danga bas-fond

Cocody Danga Bas-fond renaît de ses cendres

A chaque saison pluvieuse, Abidjan est noyée sous les eaux. Cette année plus que les années antérieures, les  quartiers précaires mais aussi les chics, ceux dit riches,  ont les pieds dans l’eau et la tête aux décomptes des morts, le cœur à l’angoisse liée à ces intempéries. Quartiers viabilisés ou pas, tous sont logés à la même enseigne.

 A Cocody Danga Bas-fond, la vie poursuit son cours presque normalement, en dépit de la menace d’inondation. Il y existe une certaine quiétude entre galère et réinvention qui fait de ce bidonville, une société ivoirienne en miniature, avec ses riches et ses pauvres. Cocody Danga Bas-fond, c’est également le miroir de la société d’aujourd’hui et le sentiment d’impuissance de de ses riverains en période de sinistre… La pentecôte dans ce bidonville n’était pas différente de celle des beaux quartiers.

7 heures, en ce jour du Seigneur, dans cette énorme cuvette, il n’y a pas grande bousculade pour l’église. Sous une fine pluie, l’heure est à l’exécution des tâches quotidiennes. Des enfants réveillés aux aurores papotent sur les rives du gigantesque canal d’évacuation d’eaux usées autour duquel gravitent habitations de fortunes et petits commerces de leurs téméraires parents.

Il y a de cela 2 ans ce grand bas-fond, comme plusieurs autres bidonvilles jugés dangereux, inhabitables et inconstructibles pour risques d’inondation et de glissement de terrain, ont fait l’objet de vastes opérations de déguerpissement. Les habitants avaient été délogés par milliers, des centaines de maisons rasées. Depuis, les bulldozers ont rangé leur fougue, les autorités leurs nombreux décrets d’interdictions et les populations se sont réinstallées comme des champignons.

Aujourd’hui, Ali Ouédraogo alias « Américain », avec les restes de sa première bicoque y a rebâti une seconde. C’est une baraque, elle donne dos au caniveau qui draine des hectolitres d’eau en cette saison particulière de pluie. L’homme d’affaires du « trou », second nom du quartier depuis 1993, n’a pu se défaire de son lieu d’habitation et de sa clientèle restée fidèle. Sa boutique,  seul centre d’approvisionnements en vivres et non vivres de cette cité spéciale, ne désemplit pas.

Américain et boutique

Idem chez ses voisins de commerce. Une salle de jeu en bois ou des adolescents disputent une chaude partie de Game over, quand chez Pierro  le grand maquis du secteur, l’heure est au ménage. Les gérants s’activent, installent chaises et tables pour la clientèle qui ne saurait tarde en ce dimanche de Pentecôte.

Le bistrot d’en face, chez Momo, on a affiche le sourire. Parce que déjà plein à cette heure si matinale de la journée. L’arc en ciel d’eau de vie et de vin y est descendu sans grande difficulté en ce temps de fraicheur. Non loin de là, sur les ruines du Ghana bar, ancien point chaud du trou, une femme fume du poisson destiné à la vente. Bosson fils, propriétaire terrien lui y est pour l’encaissement de son loyer. Nous sommes le 4 du mois, la date limite du payement approche et l’homme est ponctuel. Ses 3 et 2 pièces  à 35 000 Fcfa et 25 000 Fcfa offrent aux locataires un toit sûr, câblé et « en dur* » dans cette zone ou pullulent les cabanes de fortunes. Ces dernières sont gratuites et inondées à l’eau du caniveau qui à la moindre pluie sort de son lit.

L’ambiance est bon enfant dans cet endroit partiellement en chantier, mais aussi froide et funeste. Le trou a enseveli une famille voisine Peulh il y a 2 ans. 37 autres personnes de Mossikro, Gobelet, Boribana… ont également perdu la vie cette année-là.

Pour cette saison 2017, 8 décès ont été déjà déplorés.

Mais qu’importe, la vie suit son cours au trou. La peur a fui cet endroit. Et les populations sont confortées dans leur situation. « L’eau tue partout aujourd’hui, que ce soit chez nous ou chez les boss, on va allez où ? » s’interroge un habitant du quartier l’air à la fois moqueur et inquiet.

Tous ont le regard tourné vers la société « d’en haut » qui pour une fois partage leurs  galères saisonnières. Riviera Palméraie, Angré, Zone 4, Bietry mais aussi Yopougon, Koumassi, Bonoumin… Ces quartiers viabilisés sont rentrés dans la danse. Des quartiers immergés ! Les autorités submergées, sans bouées de sauvetage, incriminent « l’incivisme des populations ».  Les caniveaux transformés en poubelle, les constructions sur les canalisations sont mis en cause.

haut quartier sous les eaux

L’invitation à quitter les zones à risques, à la prise de conscience, les  mesures de précautions sont distillées ça et là par le département des opérations et de secours de l’Office national de protection civile (ONPC) dans cette ville devenue presqu’insulaire. Pentecôte,  célébration de la venue du Saint esprit dans le monde, mais à Abidjan, on célèbre tristement la venue des eaux, en attendant un miracle pour sauver des vies.

You May Also Like

About the Author: Ritadro